Jamais je n’oublierai le jour où j’ai reçu un diagnostic de lymphome. Assise dans la clinique de consultation externe de l’hôpital, une semaine après ma chirurgie, j’attendais le verdict.
par Alyssa Burkus Rolf
Jamais je n’oublierai le jour où j’ai reçu un diagnostic de lymphome. Assise dans la clinique de consultation externe de l’hôpital, une semaine après ma chirurgie, j’attendais le verdict.
Tout a commencé par une petite bosse au cou, indolore, pas plus grosse qu’un pois, qui était là depuis plus d’un an. Mon médecin de famille n’était pas inquiet – selon lui, ce n’était « rien ». Mais, six mois plus tard, ma massothérapeute m’a dit : « Est-ce que ça pourrait être un lymphome? » Je me suis alors demandé : « Qu’est-ce que c’est? Ça peut être dangereux? » Trois autres mois plus tard, durant un examen de routine annuel avec un nouveau médecin de famille, j’ai mentionné l’existence de cette bosse persistante. Un examen plus approfondi a révélé la présence d’autres bosses sous mon bras, ce qui m’a menée à subir différents tests, dont des analyses de sang et des radiographies du thorax. Les résultats étaient normaux. J’étais persuadée que tout allait bien. Mes bosses préoccupaient mon médecin, mais pas moi. Il m’a donc adressée à un chirurgien, « par mesure de précaution », pour subir une biopsie. J’ai dit à ma famille de ne pas s’inquiéter. J’avais commencé à lire au sujet des lymphomes, et je n’avais aucun autre symptôme. Une semaine après la chirurgie, on nous a demandé, à mon mari et moi, de revenir à l’hôpital chercher les résultats.
Les gens ont cette façon particulière de vous regarder quand ils ont une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Leur expression s’adoucit, mais leur mâchoire se contracte. Leur regard trahit leur sympathie et leur inquiétude, sachant la peine qu’ils sont sur le point de vous faire. Mon chirurgien a été, quant à lui, exemplaire, compatissant et humain, mais peu loquace concernant l’information et le soutien qu’il pouvait m’offrir.
Je n’ai pas perdu contenance dans le bureau du médecin, car il m’a fallu un certain temps avant de saisir la réelle signification de la nouvelle. Je lui ai demandé quel était mon type de lymphome (aucun détail à ce moment-là) et quelles seraient les prochaines étapes. Il m’a simplement dit qu’il m’enverrait consulter un hématologue de la localité.
Pour les patients atteints d’un lymphome, recueillir des renseignements au sujet d’une maladie dont ils n’ont jamais entendu parler est un énorme défi. J’ai appris plus tard que plus de 50 % des personnes touchées par la maladie n’en connaissent rien avant de recevoir le diagnostic ou ne savent même pas qu’il s’agit d’une forme de cancer. Bien qu’elle soit fréquente et qu’elle figure parmi les cinq formes de cancer les plus courantes, il y a beaucoup de confusion et de fausses informations à son sujet. Mon mari et moi étions continuellement à la recherche de données positives quant aux résultats thérapeutiques, ainsi que d’indications qui laisseraient supposer que j’allais m’en sortir. Voici un exemple du genre de conversations que nous avions à propos de personnalités qui avaient survécu au lymphome :
Moi : Tu sais qu’il y a ce personnage à la télévision qui a eu la maladie de Hodgkin.
Lui : Est-ce que c’est la même chose?
Moi : Je pense que oui. Après trois épisodes, elle était guérie.
Lui : C’est fantastique!
Moi : Pas dans la vraie vie, dans l’émission.
Lui : Oh!
Pour gérer la situation, il nous a fallu passer à une autre étape : celle des communications. Comment dire à vos proches que vous avez le cancer? Nous avons établi une liste de personnes qui avaient besoin d’apprendre la nouvelle par nous et non par le bouche à oreille. Je me souviens encore de l’endroit où j’étais assise lors de chaque appel, de mes propos et de ce que je ressentais. Après un certain temps, nous avons demandé à des amis de téléphoner à d’autres personnes de notre part, car ces conversations étaient devenues éprouvantes. Pendant un temps, je ne savais même plus qui était au courant. Si quelqu’un que je n’avais pas vu depuis longtemps me demandait de mes nouvelles, j’étais perplexe. Que voulait-il dire? Parlait-il en général ou faisait-il allusion à mon cancer? Plusieurs de nos amis ont cru que nous leur téléphonions pour leur annoncer que j’étais enceinte et, chaque fois, cela me crevait le cœur.
Comment expliquer en quoi consiste une maladie dont peu de gens ont entendu parler? Beaucoup étaient au courant de ce qu’était la maladie de Hodgkin, mais croyaient qu’un lymphome non hodgkinien n’était pas un cancer. La plupart ne savaient pas quoi dire ni quoi faire pour me soutenir ou me rassurer. Ils se sentaient aussi perdus que nous. J’assumais un double fardeau – leur annoncer la nouvelle et les renseigner au sujet de ma maladie.
Jamais je n’oublierai ceux qui ont pris la peine de se renseigner sur le lymphome, ceux qui n’avaient pas besoin que je leur explique tout et ceux qui m’envoyaient l’information qu’ils avaient dénichée. Ma belle-mère a pris rendez-vous avec son médecin de famille pour comprendre en quoi consistait cette maladie qui s’était immiscée dans notre famille. Par ailleurs, certaines personnes se sentaient très mal à l’aise lorsque leurs paroles devançaient leur pensée et qu’elles me disaient, par exemple, qu’une célébrité ou l’une de leurs connaissances était morte de la maladie. Ces maladresses étaient généralement suivies de phrases du genre : « Mais je suis sûr que tout ira bien pour toi ».
Avez-vous déjà remarqué que dès que vous songez à acheter telle marque de voiture, vous en voyez partout? Le mot « lymphome » semblait surgir de partout – je le voyais dans les journaux, à la télévision, dans les magazines. Nous faisons encore des blagues sur le fait que si un drame médical est lié à une maladie « mystérieuse » que personne ne peut diagnostiquer, il y a de fortes chances que ce soit un lymphome.
Voici l’une des décisions que tout patient atteint de cancer doit prendre : jusqu’à quel point veut-il dévoiler la nouvelle? Veut-il uniquement en aviser sa famille immédiate? Ses amis intimes et ses voisins? Que faire de son milieu de travail? S’il est connu du public? Et s’il devait changer d’avis plus tard?
Impossible de revenir sur ce qui a déjà été dit, mais je crois que, pour la plupart des gens, le secret est trop lourd à porter. Il peut être difficile d’intégrer le rôle de patient atteint de cancer à son identité, mais il est parfois trop exigeant de consacrer beaucoup d’énergie à préserver le secret. Je n’ai pas encore résolu ce dilemme. Certains collègues de travail ne connaissent pas encore ma « situation », même après dix ans de traitements et de rémission. Révéler soudainement que « j’ai le cancer » me semble être un appel à la pitié, un peu comme si je disais : « C’est vraiment moche que tu aies la grippe, mais est-ce que je t’ai mentionné que j’avais le CANCER? » Il y a toutefois un revers de la médaille : comme je mène une lutte perpétuelle contre une maladie chronique, elle occupe une large partie de mes pensées et devient, par conséquent, un sujet de conversation. De nombreuses décisions – concernant le travail, les enfants, les vacances – dépendent du prochain traitement, planifié ou imprévu, qui pourrait avoir un impact sur nos plans.
Au cours de notre existence, nous avons tous des secrets, nous vivons des drames et des moments de stress que nous confions à très peu de personnes, à l’exception de nos intimes. Et pourtant ils bouleversent souvent la vie, parfois sans même qu’on s’en rende compte. Être capable d’être véritablement soi-même en tout temps doit être tellement apaisant et libérateur. Cette liberté est ce que je recherche dans la vie – une vie sans fard, bien ancrée dans tout ce qui importe, sans jamais perdre de vue ce qui me garde en santé. Mais le cancer ne sera pas la seule chose qu’évoqueront les gens en pensant à moi. Vendredi soir, lors d’un événement-bénéfice, Laura, 20 ans, survivante d’un lymphome, a dit en s’adressant aux participants : « Le cancer n’est qu’un chapitre de ma vie; il y en aura beaucoup d’autres ». Bravo!
Et à votre santé!
Alyssa